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DELPHINE.

madame d’Albémar, avec le procès-verbal de tout ce qui s’était passé, et une lettre d’excuse à madame de Ternan, qui contenait des insinuations très-libres sur la conduite de madame d’Albémar avec M. de Valorbe. J’étais au couvent, où depuis la veille au soir je souffrais les plus cruelles angoisses ; lorsque cet officier arriva, madame de Ternan qui avait déjà exprimé de mille manières l’impression que lui faisait l’inexplicable absence de Delphine, ordonna, après avoir lu la lettre de Zell, que les principales religieuses se réunissent chez elle, et refusa très durement de me communiquer, ni ce qu’elle avait reçu, ni ce qu’elle projetait.

L’infortunée Delphine arriva pendant que l’assemblée des religieuses durait encore. J’eus le bonheur au moins d’aller au-devant d’elle ; en descendant de voiture elle ne vit que moi, et lorsque je lui témoignai la plus tendre affection, elle me regarda avec étonnement, comme s’il n’était plus possible que personne prit le moindre intérêt à elle ; nous nous retirâmes ensemble dans son appartement, et j’appris de Delphine, à travers son trouble, ce qui s’était passé ; une inquiétude l’emportait sur toutes les autres et revenait sans cesse à son esprit. — Léonce le saura, il me méprisera, disait-elle, en interrompant son récit ; — et quand elle avait prononcé ces mots, elle ne savait plus où reprendre ce récit, et les répétait encore.

J’essayais de la consoler, mais ce qui me causait une inquiétude mortelle, c’était la décision qu’allait prendre madame de Ternan : Elle entra dans ce moment, Delphine essaya de se lever et retomba sur sa chaise ; je souffrais de lui voir cet air coupable, quand jamais elle n’avait eu plus de droits à l’estime et à la pitié. Madame de Ternan aimait l’effet qu’elle produisait : elle regardait Delphine, non pas précisément avec dureté, mais comme une personne qui jouit d’une grande impression causée par sa présence, quel qu’en soit le motif. « Madame, dit-elle à Delphine, après ce qui s’est passé à Zell, après l’éclat de votre aventure, nos sœurs ont jugé que votre intention était sans doute d’épouser M. de Valorbe, et elles ont décidé que vous ne pouviez plus rester dans cette maison. — Ah ! voilà le coup mortel ! » s’écria Delphine, et elle tomba sans connaissance sur le plancher.

Je la pris dans mes bras ; madame de Ternan s’approcha d’elle, nous la secourûmes. Quand elle parut revenir à elle, madame de Ternan, qui était placée derrière son lit, lui adressa quelques mots assez doux ; Delphine égarée s’écria : «  C’est la voix de Léonce, est-ce qu’il me plaint, est-ce qu’il a pitié de