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DELPHINE.

mour, va me rendre en un moment toutes les jouissances de la vie. Il me reste toi, toi que j’ai tant aimée ; d’où viennent donc mes inquiétudes ? Mon ami ! ne sais-je pas qu’elle m’aime, ne connais-je pas son caractère vrai, tendre, dévoué ? Je crains, parce que la revoir me semble un bonheur surnaturel ; depuis huit mois j’invoque en vain son image, depuis huit mois je souffre à tous les instants, je n’ai plus foi au bonheur ; mais c’est une faiblesse que ce doute : n’a-t-il pas existé un temps où je la voyais, un temps où chaque jour je passais trois heures avec elle ? Pourquoi ces heures ne reviendraient-elles pas ? elles ont été dans ma vie, elles peuvent encore s’y retrouver.

LETTRE VIII. — LÉONCE À M. DARTON.
Zurich, ce 7 août.

Je suis à six lieues de madame d’Albémar, je viens de le savoir presque avec certitude ; je ne doute pas, d’après ce qu’on m’a dit, que ce ne soit elle qui s’est retirée, il y a trois mois, dans l’abbaye du Paradis. Sensible Delphine ! c’est dans la retraite la plus profonde qu’elle a passé le temps de notre séparation ; depuis qu’elle a quitté Zurich, on n’a pas une seule fois entendu parler d’elle ; personne, même ici, ne la connaît sous son véritable nom ; mais sa généreuse conduite dans tous les détails de la vie, mais l’impression que ses charmes ont produite sur ceux qui l’ont vue, ne me permettent pas de m’y méprendre. J’ai reconnu ses traces divines, mon cœur en est assuré. Il est sept heures du soir, les couvents ne s’ouvrent pas pendant la nuit ; mais demain, avec le jour, demain je la verrai ! Ô mon cher maître ! quel avenir se prépare pour moi ! comme l’espérance ouvre mon âme à toutes les plus nobles pensées ! comme elle la dispose à la vertu ! Ah ! qu’elle me deviendra facile, quand cet ange sera ma femme ! elle sera un de mes devoirs : elle, un devoir ! Félicités éternelles ! divinités tutélaires ! toutes mes veines battent pour le bonheur ; que les morts me le pardonnent ! j’irai peut être les joindre bientôt, une vie si heureuse ne saurait être longue ; mais qu’on me laisse m’enivrer de ce moment.

P. S. J’apprends à l’instant que Henri de Lebensei est arrivé de Paris, et qu’il demande à me voir. Quel peut-être le motif de ce voyage ? J’aime M. de Lebensei, mais je ne sais pourquoi j’aurais voulu qu’il ne vint point ; je n’ai besoin de me confier à