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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/599

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DELPHINE.

et ma destinée ; tout ce qui est d’accord avec elle m’honore à mes propres yeux : depuis que je ne crains plus de troubler par mon amour le bonheur de personne, je m’y abandonne comme les âmes pieuses à leur culte. Je ne suis rien que par Léonce ; s’il m’aime, s’il me choisit pour compagne, devant qui pourrais-je rougir ? qui ne serait pas au-dessous de moi ? Mais lui, que pense-t-il ? qu’éprouve-t-il ? ma sœur, le devinez-vous ? pourriez-vous me l’apprendre ? Ah ! ne me parlez que de lui.

LETTRE XIV. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Bade, ce 20 août.

Non, il ne s’abandonne pas sans regrets à notre avenir, non ! Hier au soir nous nous sommes trouvés seuls pour la première fois depuis plus d’une année, après tant d’événements terribles pour tous les deux ; en entrant, il a cherché des yeux M. de Lebensei, qu’il ne savait pas encore parti : autrefois, en me voyant, il ne cherchait plus personne ! il s’est approché de moi, et m’adit : « Ma chère Delphine, j’ai perdu ma respectable mère, mon fils, ma famille entière. » Il s’est arrêté, puis il a repris : « Mais je vais m’unir à toi, je serai encore trop heureux. » J’ai serré sa main sans rien dire ; hélas ! il faut que je l’observe. Heureux le temps où je lisais dans mon propre cœur tout ce que le sien éprouvait !

Un silence a suivi les derniers mots de Léonce, puis il a passé ses bras autour de moi, et m’a dit : « Delphine, te voilà, c’est bien toi, tu as quitté cet habit qui ressemblait aux ombres de la mort ; ah ! combien je t’en remercie ! — Oui, lui dis-je, je l’ai quitté pour un temps. — Pour toujours ! reprit-il ; c’était pour moi que tu avais prononcé ces vœux, je dois les rompre, je dois te rendre l’existence que tu as sacrifiée pour moi ; je dois… » Il s’arrêta lui-même, comme s’il avait senti que ce mot de devoir, si souvent répété, pouvait blesser mon cœur. Ah ! reprit-il, j’ai tant souffert depuis quelque temps, que je suis encore triste, comme si le malheur n’était pas passé. — Nous parlerons ensemble, répondis-je, de tout ce qui nous intéresse, de notre avenir… — De quoi parlerons-nous ? interrompit-il précipitamment ; tout n’est-il pas décidé ? Il n’y a rien à dire. — Plus rien à dire ? repris-je. Ah ! Léonce ! est-ce ainsi … » Il ne me laissa pas finir le reproche inconsidéré que j’allais prononcer. Il se jeta à mes pieds, et m’exprima tant d’amour, que je perdis par