avec assez d’humeur ; mais au moment où nous entrâmes dans sa chambre, lorsque je le vis étendu sur un canapé, pâle, pouvant à peine soulever sa tête pour me saluer, et néanmoins semblable en cet état à la plus noble, à la plus touchante image de la mélancolie et de la douleur, j’éprouvai à l’instant une émotion très-vive.
La pitié me saisit en même temps que l’attrait : tous les sentiments de mon âme me parlaient à la fois pour ce malheureux jeune homme. Sa taille élégante avait du charme, malgré l’extrême faiblesse qui ne lui permettait pas de se soutenir. Il n’y avait pas un trait de son visage qui, dans son abattement même, n’eût une expression séduisante. Je restai quelques instants debout, derrière M. Barton et madame de Vernon. Léonce adressa quelques remercîments aimables à ma tante avec un son de voix doux, et cependant encore assez ferme. Sa manière d’accentuer donnait aux paroles les plus simples une expression nouvelle ; mais, à chaque mot qu’il disait, sa pâleur semblait augmenter, et, par un mouvement involontaire, je retenais ma respiration quand il parlait, comme si j’avais pu soulager et diminuer ainsi ses efforts.
Nous nous assîmes ; il me vit alors. « Est-ce mademoiselle de Vernon ? dit-il à ma tante. — Non, répondit madame de Vernon : elle n’ose point encore venir vous voir ; c’est ma nièce, madame d’Albémar. — Madame d’Albémar ! reprit Léonce ! assez vivement, celle qui a bien voulu prêter sa voiture à M. Barton pour venir me chercher ; celle qui a daigné s’intéresser à mon sort avant de me connaître ! Je suis bien honteux, répéta-t-il en tâchant d’élever la voix, je suis bien honteux d’être si mal en état de lui témoigner ma reconnaissance ! » J’allais lui répondre, lorsqu’on finissant ces mots sa tête retomba sur ma main. Je fis un mouvement pour me lever et lui porter du secours ; mais, rougissant aussitôt de mon dessein, je me rassis, et je gardai le silence. Léonce se tut aussi pendant quelques minutes. Tant de douceur et de sensibilité se peignit alors sur son visage, que j’oubliai entièrement l’opinion que j’avais eue de lui, et qui pouvait garantir mon cœur. Mon attendrissement devenait à chaque instant plus difficile à cacher. Les yeux et les paupières noires de Léonce accablé par son mal, se baissaient malgré lui ; mais quand il parvenait à soulever son regard et qu’il le dirigeait sur moi, il me semblait qu’il fallait répondre à ce regard, qu’il sollicitait l’intérêt, qu’il expliquait sa pensée ; et je me sentais émue comme s’il m’avait longtemps parlé.