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ŒUVRES DE STENDHAL.

se trahir envers son amant plutôt par des faits que par des paroles.

La femme la plus jolie, la plus riche et la plus facile de Bologne, vient de me conter qu’hier soir, un fat français, qui est ici et qui donne une drôle d’idée de sa nation, s’est avisé de se cacher sous son lit. Il voulait apparemment ne pas perdre un nombre infini de déclarations ridicules dont il la poursuit depuis un mois. Mais ce grand homme a manqué de présence d’esprit ; il a bien attendu que madame M. eût congédié sa femme de chambre et se fût mise au lit, mais il n’a pas eu la patience de donner aux gens le temps de s’endormir. Elle s’est jetée à la sonnette, et l’a fait chasser honteusement au milieu des huées et des coups de cinq ou six laquais. « Et s’il eût attendu deux heures ? » lui disais-je. — « J’aurais été bien malheureuse : Qui pourra douter, m’eût-il dit, que je ne sois ici par vos ordres[1]. »

Au sortir de chez cette jolie femme, je suis allé chez la femme la plus digne d’être aimée que je connaisse. Son extrême délicatesse est, s’il se peut, au-dessus de sa beauté touchante. Je la trouve seule et lui conte l’histoire de Madame M. Nous raisonnons là-dessus : « Écoutez, me dit-elle, si l’homme qui se permet cette action était aimable auparavant aux yeux de cette femme, on lui pardonnera, et, par la suite on l’aimera. » — J’avoue que je suis resté confondu de cette lumière imprévue jetée sur les profondeurs du cœur humain. Je lui ai répondu au bout d’un silence : — « Mais, quand on aime, a-t-on le courage de se porter aux dernières violences ? »

Il y aurait bien moins de vague dans ce chapitre si une femme l’eût écrit. Tout ce qui tient à la fierté, à l’orgueil féminin, à l’habitude de la pudeur et de ses excès, à certaines délicatesses, la plupart dépendant uniquement d'associations de sensa-

  1. On me conseille de supprimer ce détail : « Vous me prenez pour une femme bien leste, d’oser conter de telles choses devant moi. »