Page:Stendhal - Correspondance, I.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ma première lettre ; mais je suis devant ma table, j'ai une demi-heure à moi, comment ne pas écrire à celle à qui je voudrais toujours parler ? J'ai le projet de t'aller voir au commencement de thermidor ; je voulais d'abord n'y aller qu'un mois plus tard, mais quelle folie ! Nous a%'ons si peu de jours à vivre, et peut-être bien moins à passer enseiûble ! Hâtons-nous de jouir, vivons ensemble, coulons nos jours au sein de l'amitié. Je m'instruis ici, à la vérité ; mais que la science est froide auprès du sentiment ! Dieu, voyant que l'homme n'était pas assez fort pour sentir toujours, a voulu lui donner la science pour le délasser des passions durant sa jeunesse, et pour l'occuper dans ses derniers jours.

Malheureux et bien à plaindre, le cœur froid qui ne sait que savoir ! Hé ! que me sert de savoir que le soleil tourne autour de la terre, ou la terre autour du soleil, si je perds, à apprendre ces choses, les jours qui me sont donnés pour en jouir ? Telle est la folie de bien des hommes, ma ehère Pauline ; mais elle ne sera' pas la nôtre.

J'oubliais de te dire de qui sont ces vers si doux que je t'envoie : André Ché-nier les composa peu de temps avant la Terreur qui le fit périr.