Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/111

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même aperçu sur la figure d’une autre femme.

Si l’on parvient ainsi à préférer et à aimer la laideur, c’est que dans ce cas la laideur est beauté[1]. Un homme aimait à la passion une femme très maigre et marquée de petite vérole ; la mort la lui ravit. Trois ans après, à Rome, admis dans la familiarité de deux femmes, l’une plus belle que le jour, l’autre maigre, marquée de petite vérole, et par là, si vous voulez, assez laide ; je le vois aimer la laide au bout de huit jours qu’il emploie à effacer sa laideur par ses souvenirs ; et, par une coquetterie bien pardonnable, la moins jolie ne manqua pas de l’aider en lui fouettant un peu le sang, chose utile à cette opération[2]. Un homme rencontre une femme, et est choqué de sa laideur ; bientôt, si elle n’a pas de prétentions, sa physionomie lui fait oublier les défauts de ses traits, il la trouve aimable et conçoit qu’on puisse l’aimer ; huit jours après il a des espérances, huit jours après on les lui retire, huit jours après il est fou.

  1. La beauté n’est que la promesse du bonheur. Le bonheur d’un Grec était différent du bonheur d’un Français de 1822. Voyez les yeux de la Vénus de Médicis et comparez-les aux yeux de la Madeleine de Pordenone (chez M. de Sommariva)
  2. Si l’on est sûr de l’amour d’une femme, on examine si elle est plus ou moins belle ; si l’on doute de son cœur, on n’a pas le temps de songer à sa figure.