Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simplicité héroïque, fruit d’un sacrifice entier et de bonne foi. Il n’y a qu’un an, par exemple, que mon cœur comprend la simplicité des Romains de Tive-Live. Autrefois je les trouvais froids, comparés à nos brillants colonels. Ce qu’ils faisaient pour leur Rome, je le trouve dans mon cœur pour Léonore. Si j’avais le bonheur de pouvoir faire quelque chose pour elle, mon premier désir serait de le cacher. La conduite des Régulus, des Décius était une chose convenue d’avance, et qui n’avait pas le droit de les surprendre. J’étais petit avant d’aimer, précisément parce que j’étais tenté quelque fois de me trouver grand ; il y avait un certain effort que je sentais, et dont je m’applaudissais.

« Et du côté des affections, que ne doit-on pas à l’amour ? Après les hasards de la première jeunesse, le cœur se ferme à la sympathie. La mort ou l’absence éloigne-t-elle des compagnons de l’enfance, l’on est réduit à passer la vie avec de froids associés, la demi-aune à la main, toujours calculant des idées d’intérêt ou de vanité. Peu à peu, toute la partie tendre et généreuse de l’âme devient stérile, faute de culture, et à moins de trente ans l’homme se trouve pétrifié à toutes les sensations douces et tendres. Au milieu de ce désert aride, l’amour fait jaillir une source de sen-