Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/187

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timents plus abondante et plus fraîche même que celle de la première jeunesse. Il y avait alors une espérance vague, folle et sans cesse distraite[1] ; jamais de dévouement pour rien, jamais de désirs constants et profonds ; l’âme, toujours légère, avait soif de nouveauté, et négligeait aujourd’hui ce qu’elle adorait hier. Et rien n’est plus recueilli, plus mystérieux, plus éternellement un dans son objet, que la cristallisation de l’amour. Alors les seules choses agréables avaient droit de plaire, et de plaire un instant ; maintenant tout ce qui a rapport à ce qu’on aime, et même les objets les plus indifférents touchent profondément. Arrivant dans une grande ville, à cent milles de celle qu’habite Léonore, je me suis trouvé tout timide et tremblant : à chaque détour de rue, je frémissais de rencontrer Alviza, l’amie intime de madame * * *, et amie que je ne connais pas. Tout a pris pour moi une teinte mystérieuse et sacrée, mon cœur palpitait en parlant à un vieux savant. Je ne pouvais sans rougir entendre nommer la porte près de laquelle habite l’amie de Léonore.

« Même les rigueurs de la femme qu’on aime ont des grâces infinies, et que l’on ne trouve pas dans les moments les plus

  1. Mordaunt Merton, 1er vol. du Pirate.