Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour ce peuple esclave de la mode, qu’un grand homme avait appelé la grande nation, oubliant qu’elle n’était grande qu’avec la condition de l’avoir pour chef.

Le résultat de mon ignorance des conditions du plus humble succès fut de ne trouver que dix-sept lecteurs de 1822 à 1833 ; c’est à peine si, après vingt ans d’existence, l’Essai sur l’Amour a été compris d’une centaine de curieux. Quelques-uns ont eu la patience d’observer les diverses phases de cette maladie chez les personnes atteintes autour d’eux ; car, pour comprendre cette passion, que depuis trente ans, la peur du ridicule cache avec tant de soin parmi nous, il faut en parler comme d’une maladie ; c’est par ce chemin-là que l’on peut arriver quelquefois à la guérir.

Ce n’est, en effet, qu’après un demi-siècle de révolutions qui tour à tour se sont emparées de toute notre attention ; ce n’est, en effet, qu’après cinq changements complets dans la forme et dans les tendances de nos gouvernements, que la révolution commence seulement à entrer dans nos mœurs. L’amour, ou ce qui le remplace le plus communément en lui volant son nom, l’amour pouvait tout en France sous Louis XV : les femmes de la cour faisaient des colonels ; cette place