Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la cristallisation, la méfiance a coupé les ailes à l’imagination. À propos de quelque homme que ce soit, fût-il un prodige, elle ne pourra plus se former une image aussi entraînante ; elle ne pourra donc plus aimer avec le même feu que dans la première jeunesse. Et comme en amour on ne jouit que de l’illusion qu’on se fait, jamais l’image qu’elle pourra se créer à vingt-huit ans n’aura le brillant et le sublime de celle sur laquelle était fondé le premier amour à seize, et le second amour semblera toujours d’une espèce dégénérée. » — « Non madame, la présence de la méfiance qui n’existait pas à seize ans, est évidemment ce qui doit donner une couleur différente à ce second amour. Dans la première jeunesse, l’amour est comme un fleuve immense qui entraîne tout dans son cours, et auquel on sent qu’on ne saurait résister. Or une âme tendre se connaît à vingt-huit ans ; elle sait que si pour elle il est encore du bonheur dans la vie, c’est à l’amour qu’il faut le demander ; il s’établit, dans ce pauvre cœur agité, une lutte terrible entre l’amour et la méfiance. La cristallisation avance lentement ; mais celle qui sort victorieuse de cette épreuve terrible, où l’âme exécute tous ses mouvements à la vue continue du plus affreux danger,