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journal de stendhal

et bonté allemande étaient peints sur sa figure, qui n’exprimait qu’un peu de mélancolie.

Peu à peu, la rue se resserrait, et enfin, sous la porte et avant, notre voiture fut obligée de passer sur ces cadavres défigurés par les flammes. Quelques maisons brûlaient encore. Ce soldat qui sortait d’une maison avec l’air irrité. J’avoue que cet ensemble me fit mal au cœur.

Ce spectacle frappant, je l’ai mal vu. Montbadon, que j’ai retrouvé à Enns toujours se faisant adorer partout, est monté au château, qui était bien pire que la rue, en ce que cent cinquante cadavres y brûlaient actuellement, la plupart français, des régiments de chasseurs à pied. Il a visité une charge à la baïonnette, faite sur quelques pièces de bois entreposées au bord de la Traun, où il a trouvé les rangées entières à leur poste de bataille. Il distinguait les Français aux favoris.

Un très bel officier mort ; voulant voir par où, il le prend par la main ; la peau de l’officier y reste. Ce beau jeune homme était mort d’une manière qui ne lui faisait pas beaucoup d’honneur, d’une balle qui, entrant par le dos, s’était arrêtée dans le cœur.

La pluie froide, le manque de nourriture, le mur d’airain qu’il y a entre mes pensées et le cerveau de mon camarade et che fa ch’elle ripiombono sul mio cuore*, tout cela fit que j’eus presque mal au cœur de ce spectacle.