Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 127 —

sommeil de Fabrice, se vérifia complétement ; le lendemain Clélia n’avait pas paru à trois heures, quand on acheva de poser devant les fenêtres de Fabrice les deux énormes abat-jour ; les diverses pièces en avaient été élevées, à partir de l’esplanade de la grosse tour, au moyen de cordes et de poulies attachées par dehors aux barreaux de fer des fenêtres. Il est vrai que, cachée derrière une persienne de son appartement, Clélia avait suivi avec angoisse tous les mouvements des ouvriers ; elle avait fort bien vu la mortelle inquiétude de Fabrice, mais n’en avait pas moins eu le courage de tenir la promesse qu’elle s’était faite.

Clélia était une petite sectaire de libéralisme ; dans sa première jeunesse elle avait pris au sérieux tous les propos de libéralisme qu’elle entendait dans la société de son père, lequel ne songeait qu’à se faire une position ; elle était partie de là pour prendre en mépris et presque en horreur le caractère flexible du courtisan : de là son antipathie pour le mariage. Depuis l’arrivée de Fabrice, elle était bourrelée de remords : Voilà, se disait-elle, que mon indigne cœur se met du parti des gens qui veulent trahir mon père ! Il ose me faire le geste de scier une porte !… Mais, se dit-elle aussitôt l’âme navrée, toute la ville parle de sa mort prochaine ! Demain peut-être le jour fatal ! Avec les monstres qui nous gouvernent, quelle chose au monde n’est pas possible ! Quelle dou-