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fenêtre de son salon, la duchesse pouvait mettre le pied dans sa barque. Elle en avait une fort ordinaire, et pour laquelle quatre rameurs eussent suffi ; elle en engagea douze, et s’arrangea de façon à avoir un homme de chacun des villages situés aux environs de Belgirate. La troisième ou quatrième fois qu’elle se trouva au milieu du lac avec tous ces hommes bien choisis, elle fit arrêter le mouvement des rames.

— Je vous considère tous comme des amis, leur dit-elle, et je veux vous confier un secret. Mon neveu Fabrice s’est sauvé de prison ; et peut-être, par trahison, on cherchera à le reprendre, quoiqu’il soit sur votre lac, pays de franchise. Ayez l’oreille au guet, et prévenez-moi de tout ce que vous apprendrez. Je vous autorise à entrer dans ma chambre le jour et la nuit.

Les rameurs répondirent avec enthousiasme ; elle savait se faire aimer. Mais elle ne pensait pas qu’il fût question de reprendre Fabrice : c’était pour elle qu’étaient tous ces soins, et, avant l’ordre fatal d’ouvrir le réservoir du palais Sanseverina, elle n’y eût pas songé.

Sa prudence l’avait aussi engagée à prendre un appartement au port de Locarno pour Fabrice ; tous les jours il venait la voir, ou elle-même allait en Suisse. On peut juger de l’agrément de leurs perpétuels tête-à-tête par ce détail : La marquise et ses filles vinrent les voir deux fois, et la pré-