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se souvenant de la présence des deux prêtres, elle se hâta d’ajouter :

— C’était un grand prince, et qui a été bien calomnié ! C’est une perte immense pour nous !

Les deux prêtres prirent congé, et la duchesse, pour être seule, annonça qu’elle allait se mettre au lit.

— Sans doute, se disait-elle, la prudence m’ordonne d’attendre un mois ou deux avant de retourner à Parme ; mais je sens que je n’aurais jamais cette patience ; je souffre trop ici. Cette rêverie continuelle, ce silence de Fabrice sont pour mon cœur un spectacle intolérable. Qui me l’eût dit, que je m’ennuierais en me promenant sur ce lac charmant en tête-à-tête avec lui, et au moment où j’ai fait pour le venger plus que je ne puis lui dire ! Après un tel spectacle, la mort n’est rien. C’est maintenant que je paie les transports de bonheur et de joie enfantine que je trouvais dans mon palais à Parme lorsque j’y reçus Fabrice revenant de Naples. Si j’eusse dit un mot, tout était fini et peut-être que, lié avec moi, il n’eût pas songé à cette petite Clélia ; mais ce mot me faisait une répugnance horrible. Maintenant elle l’emporte sur moi. Quoi de plus simple ? elle a vingt ans, et moi, changée par les soucis, malade, j’ai le double de son âge !… Il faut mourir, il faut finir ! Une femme de quarante ans n’est plus quelque chose que pour les hommes qui l’ont aimée dans sa