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yeux de l’Europe ! Et Dieu sait ce que je lirai le mois prochain dans les journaux de Paris !

Tout à coup l’âme de ce jeune homme si timide se taisant, son esprit arriva à une idée.

— Chère duchesse ! vous savez si je vous suis attaché. Vos idées atroces sur le poison ne sont pas fondées, j’aime à le croire ; mais enfin elles me donnent aussi à penser, elles me font presque oublier pour un instant la passion que j’ai pour vous, et qui est la seule que de ma vie j’aie éprouvée. Je sens que je ne suis pas aimable ; je ne suis qu’un enfant bien amoureux ; mais enfin mettez-moi à l’épreuve.

Le prince s’animait assez en tenant ce langage.

— Sauvez Fabrice, et je crois tout ! Sans doute je suis entraînée par les craintes folles d’une âme de mère ; mais envoyez à l’instant chercher Fabrice à la citadelle, que je le voie. S’il vit encore, envoyez-le du palais à la prison de la ville, où il restera des mois entiers, si votre altesse l’exige, et jusqu’à son jugement.

La duchesse vit avec désespoir que le prince, au lieu d’accorder d’un mot une chose aussi simple, était devenu sombre ; il était fort rouge, il regardait la duchesse, puis baissait les yeux, et ses joues pâlissaient. L’idée de poison, mal à propos mise en avant, lui avait suggéré une idée digne de son père ou de Philippe II ; mais il n’osait l’exprimer.

— Tenez, madame, lui dit-il enfin comme se