Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/347

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faisant violence, et d’un ton fort peu gracieux ; vous me méprisez comme un enfant, et de plus, comme un être sans grâces : eh bien ! je vais vous dire une chose horrible, mais qui m’est suggérée à l’instant par la passion profonde et vraie que j’ai pour vous. Si je croyais le moins du monde au poison, j’aurais déjà agi, mon devoir m’en faisait une loi ; mais je ne vois dans votre demande qu’une fantaisie passionnée, et dont peut-être, je vous demande la permission de le dire, je ne vois pas toute la portée. Vous voulez que j’agisse sans consulter mes ministres, moi qui règne depuis trois mois à peine ! vous me demandez une grande exception à ma façon d’agir ordinaire, et que je crois fort raisonnable, je l’avoue. C’est vous, madame, qui êtes ici en ce moment le souverain absolu, vous me donnez des espérances pour l’intérêt qui est tout pour moi ; mais, dans une heure, lorsque cette imagination de poison, lorsque ce cauchemar aura disparu, ma présence vous deviendra importune, vous me disgracierez, madame. Eh bien ! il me faut un serment : jurez, madame, que si Fabrice vous est rendu sain et sauf, j’obtiendrai de vous, d’ici à trois mois, tout ce que mon amour peut désirer de plus heureux ; vous assurerez le bonheur de ma vie entière en mettant à ma disposition une heure de la vôtre, et vous serez toute à moi.

En cet instant, l’horloge du château sonna deux heures. Ah ! il n’est plus temps, se dit la duchesse.