Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/378

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 374 —

Puis, se disant : et mes yeux ne te regarderont jamais, il se retourna vers son père général, et lui dit :

— Voici mon incommodité qui me prend plus fort que jamais.

En effet, Fabrice pleura à chaudes larmes pendant plus d’une demi-heure. Par bonheur, une symphonie de Mozart, horriblement écorchée, comme c’est l’usage en Italie, vint à son secours et l’aida à sécher ses larmes.

Il tint ferme et ne tourna pas les yeux vers la marquise Crescenzi ; mais Mme P… chanta de nouveau, et l’âme de Fabrice, soulagée par les larmes, arriva à un état de repos parfait. Alors la vie lui apparut sous un nouveau jour. Est-ce que je prétends, se dit-il, pouvoir l’oublier entièrement dès les premiers moments ? cela me serait-il possible ? Il arriva à cette idée : Puis-je être plus malheureux que je ne le suis depuis deux mois ? et si rien ne peut augmenter mon angoisse, pourquoi résister au plaisir de la voir ? Elle a oublié ses serments ; elle est légère : toutes les femmes ne le sont-elles pas ? Mais qui pourrait lui refuser une beauté céleste ? Elle a un regard qui me ravit en extase, tandis que je suis obligé de faire un effort sur moi-même pour regarder les femmes qui passent pour les plus belles ! eh bien ! pourquoi ne pas me laisser ravir ? ce sera du moins un moment de répit.