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ses draps et les yeux fermés, il leur sembla la voir exposée sur un lit de parade après sa mort. Elles l’eussent crue tout à fait évanouie, si elles ne se fussent rappelé qu’elle venait de les sonner. Quelques larmes fort rares coulaient de temps à autre sur ses joues insensibles ; ses femmes comprirent par un signe qu’elle voulait être mise au lit.

Deux fois après la soirée du ministre Zurla, le comte s’était présenté chez la duchesse : toujours refusé, il lui écrivit qu’il avait un conseil à lui demander pour lui-même : « Devait-il garder sa position après l’affront qu’on osait lui faire ? » Le comte ajoutait : « Le jeune homme est innocent ; mais, fût-il coupable, devait-on l’arrêter sans m’en prévenir, moi, son protecteur déclaré ? » La duchesse ne vit cette lettre que le lendemain.

Le comte n’avait pas de vertu ; l’on peut même ajouter que ce que les libéraux entendent par vertu (chercher le bonheur du plus grand nombre) lui semblait une duperie ; il se croyait obligé à chercher avant tout le bonheur du comte Mosca della Rovere ; mais il était plein d’honneur et parfaitement sincère lorsqu’il parlait de sa démission. De la vie il n’avait dit un mensonge à la duchesse ; celle-ci du reste ne fit pas la moindre attention à cette lettre ; son parti, et un parti bien pénible, était pris, feindre d’oublier Fabrice ; après cet effort, tout lui était indifférent.