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Le lendemain, sur le midi, le comte, qui avait passé dix fois au palais Sanseverina, enfin fut admis ; il fut atterré à la vue de la duchesse… Elle a quarante ans ! se dit-il, et hier si brillante ! si jeune !… Tout le monde me dit que, durant sa longue conversation avec la Clélia Conti, elle avait l’air aussi jeune et bien autrement séduisante.

La voix, le ton de la duchesse étaient aussi étranges que l’aspect de sa personne. Ce ton, dépouillé de toute passion, de tout intérêt humain, de toute colère, fit pâlir le comte ; il lui rappela la façon d’être d’un de ses amis qui, peu de mois auparavant, sur le point de mourir, et ayant déjà reçu les sacrements, avait voulu l’entretenir.

Après quelques minutes, la duchesse put lui parler. Elle le regarda, et ses yeux restèrent éteints :

— Séparons-nous, mon cher comte, lui dit-elle d’une voix faible, mais bien articulée, et qu’elle s’efforçait de rendre aimable ; séparons-nous, il le faut ! Le Ciel m’est témoin que, depuis cinq ans, ma conduite envers vous a été irréprochable. Vous m’avez donné une existence brillante, au lieu de l’ennui qui aurait été mon triste partage au château de Grianta ; sans vous j’aurais rencontré la vieillesse quelques années plus tôt… De mon côté, ma seule occupation a été de chercher à vous faire trouver le bonheur. C’est parce que