Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/78

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je vous aime que je vous propose cette séparation à l’amiable, comme on dirait en France.

Le comte ne comprenait pas ; elle fut obligée de répéter plusieurs fois. Il devint d’une pâleur mortelle, et, se jetant à genoux auprès de son lit, il dit tout ce que l’étonnement profond, et ensuite le désespoir le plus vif, peuvent inspirer à un homme d’esprit passionnément amoureux. À chaque moment il offrait de donner sa démission et de suivre son amie dans quelque retraite à mille lieues de Parme.

— Vous osez me parler de départ, et Fabrice est ici ! s’écria-t-elle enfin en se soulevant à demi. Mais comme elle aperçut que ce nom de Fabrice faisait une impression pénible, elle ajouta après un moment de repos et en serrant légèrement la main du comte : — Non, cher ami, je ne vous dirai pas que je vous ai aimé avec cette passion et ces transports que l’on n’éprouve plus, cela me semble, après trente ans, et je suis déjà bien loin de cet âge. On vous aura dit que j’aimais Fabrice, car je sais que le bruit en a couru dans cette cour méchante. (Ses yeux brillèrent pour la première fois dans cette conversation, en prononçant ce mot méchante.) Je vous jure devant Dieu, et sur la vie de Fabrice, que jamais il ne s’est passé entre lui et moi la plus petite chose que n’eût pas pu souffrir l’œil d’une tierce personne. Je ne vous dirai pas non plus que je l’aime exac-