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le rouge et le noir

engager par sa mère à les accompagner.

Il ne parut point ; ces dames n’eurent que des êtres vulgaires dans leur loge. Pendant tout le premier acte de l’opéra, Mathilde rêva à l’homme qu’elle aimait avec les transports de la passion la plus vive ; mais au second acte une maxime d’amour chantée, il faut l’avouer, sur une mélodie digne de Cimarosa, pénétra son cœur. L’héroïne de l’opéra disait : Il faut me punir de l’excès d’adoration que je sens pour lui, je l’aime trop !

Du moment qu’elle eut entendu cette cantilène sublime, tout ce qui existait au monde disparut pour Mathilde. On lui parlait ; elle ne répondait pas ; sa mère la grondait, à peine pouvait-elle prendre sur elle de la regarder. Son extase arriva à un état d’exaltation et de passion comparable aux mouvements les plus violents que depuis quelques jours Julien avait éprouvés pour elle. La cantilène, pleine d’une grâce divine sur laquelle était chantée la maxime qui lui semblait faire une application si frappante à sa position, occupait tous les instants où elle ne songeait pas directement à Julien. Grâce à son amour pour la musique, elle fut ce soir-là comme madame de Rênal était toujours en pensant à Julien. L’amour de tête a plus d’esprit sans doute que