Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/187

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Lucien osa écrire toute cette confession et l’histoire de sa nouvelle amitié à sa mère ; mais il la supplia de lui renvoyer sa lettre ; ils étaient ensemble sur le ton de la plus franche amitié. Il lui écrivait : « Je ne dirai pas mon malheur, mais mon ennui serait redoublé si je devenais le sujet des plaisanteries de mon père et de ces hommes aimables dont l’absence me fait voir la vie en noir. »

Par bonheur pour Lucien, sa liaison avec M. Gauthier, qu’il rencontrait le soir chez M. Bonard, ne parvint pas jusqu’au colonel Malher. Mais, du reste, le mauvais vouloir de ce chef n’était plus un secret dans le régiment. Peut-être ce brave homme désirait-il qu’un duel le débarrassât de ce jeune républicain, trop protégé pour se permettre de le vexer en grand.

Un matin, le colonel le fit appeler, et Lucien ne fut introduit devant ce dignitaire qu’après avoir attendu trois quarts d’heure dans une antichambre malpropre, au milieu de vingt paires de bottes que ciraient trois lanciers. « Ceci est un fait exprès, se dit-il, mais je ne puis déjouer cette mauvaise volonté qu’en ne m’apercevant de rien. »

— On m’a fait rapport, monsieur, dit le colonel en serrant les lèvres et d’un ton