Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/168

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Mais l’absence de Leuwen dérangeait tous ses sentiments. Son courage avait été mis aux plus rudes épreuves ; vingt fois, pendant trois mortelles heures d’attente, elle avait été sur le point de changer de résolution. D’un autre côté, le péril pour l’honneur était immense.

« Jamais mon père, pensait-elle, ni aucun de mes parents ne consentira à ce que j’épouse M. Leuwen, un homme du parti contraire, un bleu, et qui n’est pas noble. Il n’y faut pas même penser ; lui-même n’y pense pas. Que fais-je donc ? Je ne puis plus penser qu’à lui. Je n’ai point de mère pour me garder, je manque d’une amie à qui je puisse demander des conseils, mon père m’a séparée violemment de madame de Constantin. À qui, dans Nancy, oserais-je seulement faire entrevoir l’état de mon cœur ? Il faut donc que je sois sévère pour moi-même. Je n’en dois veiller qu’avec plus de vigilance sur la situation dangereuse dans laquelle je me trouve[1]. »

Ces raisonnements se soutenaient assez bien, quand enfin dix heures sonnèrent, ce qui est, à Nancy, le moment après

  1. En marge de ces deux dernières phrases dont aucune n’est biffée, Stendhal indique qu’il faudra choisir entre elles. N. D. L. E.