Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/315

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qu’un banquier eût osé refuser à Colbert de passer chez lui ? »

Après cette comparaison judicieuse, le colérique ministre tomba dans une rêverie profonde.

« Ne pourrais-je pas me passer de cet insolent ! Mais sa probité est célèbre, presque autant que sa méchanceté. C’est un homme de plaisir, un viveur, qui depuis vingt ans se moque de ce qu’il y a de plus respectable : le roi, la religion… C’est le Talleyrand de la Bourse ; ses épigrammes font loi dans ce monde-là ; et, depuis la révolte de juillet, ce monde-là se rapproche tous les jours davantage du grand monde, du seul qui devrait avoir de l’influence. Les gens à argent sont aux lieu et place des grandes familles du faubourg Saint-Germain… Son salon réunit tout ce qu’il y a d’hommes d’esprit parmi les gens d’affaires…, et il s’est faufilé avec tous les diplomates qui vont à l’Opéra… Villèle le consultait. »

À ce nom, M. de Vaize s’inclina presque. Il avait le ton fort haut, quelquefois il poussait l’assurance jusqu’au point où elle prend un autre nom, mais, par un contraste étrange, il était sujet à des bouffées de timidité incroyables. Par exemple, il lui eût été extrêmement pénible et presque impossible de faire des ouver-