Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tures à une autre maison de banque. Il réunissait à un âpre amour pour le gain l’idée fantasque que le public lui croyait une probité sans tache ; sa grande raison, c’est qu’il succédait à un voleur.

Après une grande heure de promenade agitée dans son cabinet et après avoir envoyé au diable fort énergiquement son huissier qui annonçait des chefs de bureau et même un aide de camp du roi, il sentit que l’effort de prendre un autre banquier était au-dessus de son courage. Les journaux faisaient trop peur à Son Excellence. Sa vanité plia devant la paresse épigrammatique d’un homme de plaisir, il y eut alors capitulation avec la vanité.

« Après tout, je l’ai connu avant d’être ministre… Je ne compromets point ma dignité en souffrant chez ce vieillard caustique le ton de presque égalité auquel je l’ai laissé s’accoutumer. »

M. Leuwen avait prévu tous ces mouvements. Le soir, il dit à son fils :

— Ton ministre m’a écrit, comme un amant à sa maîtresse, des picoteries. J’ai été obligé de lui répondre, et cela me pèse. Je suis comme toi, je n’aime pas assez le métal pour me beaucoup gêner. Apprends à faire l’opération de bourse ; rien n’est plus simple pour un grand géomètre,