Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

province, au moins, ce grand corps est pur d’énergie. Ces gens-ci ont de l’envie et de la peur, et à cause de ces deux aimables passions ils oublient de vivre. »

Ce mot, par lequel Lucien se résumait toutes ses sensations de province, lui gâtait la charmante figure de madame d’Hocquincourt comme l’esprit supérieur de madame de Puylaurens. Cette peur continue, ce regret d’un passé qu’on n’ose pas défendre comme estimable, empêchaient aux yeux de Lucien toute vraie grandeur. Il y avait au contraire tant de luxe, de richesse véritable et d’absence de peur et d’envie dans les salons de madame Grandet !

« Là seulement on sait vivre », se disait Lucien. Et il se passait quelquefois des semaines entières sans qu’il fût choqué par quelque propos bas, tel qu’on n’en entendait jamais de pareil dans les salons de madame d’Hocquincourt ou de madame de Puylaurens. Ces propos bas, montrant toute la vileté de l’âme, étaient tenus par quelque député du centre qui, en se vendant au ministère pour un ruban ou une recette de tabac, n’avait pas encore appris à placer un masque sur sa laideur. Au grand chagrin de son père, jamais Lucien n’adressait la parole à ces êtres lourds ; il les entendait en passant qui,