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Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/359

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MÉMOIRES D’UN TOURISTE

2° On a vu Andromaque par Talma : on ne veut pas gâter un souvenir brillant de génie.

3° On est horriblement mal dans les théâtres de Paris ; or, depuis que la gaieté s’est envolée, nous tenons au bien-être. Il s’écoulera peut-être trente ans avant que la mode s’avise d’ordonner aux entrepreneurs de spectacle de faire arranger leurs théâtres comme celui de l’Opéra-Italien à Londres ; l’on y a des fauteuils fort espacés.

4° Le spectacle et le dîner se font la guerre. Il faut dîner à la hâte, et, au sortir de table, courir s’enfermer dans une salle échauffée par les respirations. Pour bien des gens, cette seule cause suffit pour paralyser l’esprit et le rendre incapable de goûter des plaisirs quelconques.

5° Pour peu qu’on ait d’imagination, on aime mieux lire Andromaque, et choisir un moment où l’esprit se trouve régner en maître sur la guenille qui lui est jointe. Quand on a le malheur de savoir par cœur les quinze ou vingt bonnes tragédies, on lit des romans qui ont le charme de l’imprévu.

Il ne restera, je pense, à l’art dramatique que la comédie qui fait rire. C’est que le rire vient de l’imprévu et de la soudaine comparaison que je fais de moi à un autre.

C’est que ma joie est quadruplée par celle du voisin. Dans une salle remplie jusqu’aux combles et bien électrisée, les lazzi d’un acteur aimé du public renouvellent vingt fois le rire après le trait véritablement comique de la pièce. Il faut donc voir jouer les comédies de Regnard, et non pas les lire ; il faut voir jouer Prosper et Vincent, le Père de la débutante, et toutes les farces plus certains petits drames : Michel Perrin, le Pauvre Diable, Monsieur Blandin, etc.

À cette seule exception près, le théâtre s’en va.

6° Je ne parle que pour mémoire des expositions trop claires et autres choses grossières auxquelles force la présence des enrichis.

Vers 1850 on ira à un théâtre parce qu’il offrira des stalles