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ŒUVRES DE STENDHAL.

ils faisaient quelques pas à pied et trouvaient d’autres mulets qui les portaient jusqu’à Chambéry.

Charles-Emmanuel II, duc de Savoie, élargit la fissure, et, à l’aide d’une muraille fort élevée appliquée contre la montagne, rendit possible une montée très-rapide. Par ce moyen, les voitures mêmes arrivaient jusqu’au chemin praticable. Une inscription[1] en latin et assez bien écrite est placée au fond de la fissure, dans un lieu fort imposant, d’où l’on aperçoit à peine un peu de ciel, et où l’on est emprisonné de tous les côtés par des rochers coupés à pic. Un silence profond règne en ce lieu ; il n’est légèrement interrompu que par le petit bruit des gouttes d’eau qui distillent du haut de ces rochers.

L’inscription vous dit que le duc Charles-Emmanuel a exécuté un ouvrage que les Romains n’avaient pas osé tenter. Napoléon, trouvant la pente de la route trop rude, a fait percer de part en part la paroi du rocher que le voyageur laissait à gauche, lorsqu’on suivait la route du duc Emmanuel. La plupart des tunnels que l’on rencontre aujourd’hui dans les routes de montagnes sont copiés de celui-ci, qui peut avoir quatre à cinq cents pas de long ; on s’y battit en 1814.

Ce passage est resté fort singulier et s’appelle la Grotte, à cause d’une grotte naturelle et fort grande qui existe dans le rocher, non loin du tunnel. J’ai trouvé là un homme avec une échelle de huit ou dix pieds et une lanterne ; je suis descendu dans le premier salon de la grotte, qui se compose d’une suite de grandes pièces à peu près semblables, pour la forme et la couleur, à des nefs d’église gothique ; l’aspect est fort imposant, mais je n’ai pu donner que quelques minutes à l’examen de cette curiosité.

Un peu plus loin, vers le village de Saint-Thiébault-de-Coux, j’ai admiré la fameuse cascade si bien décrite par J.-J. Rousseau.

  1. Pendant la Révolution l’inscription fut effacée ; Napoléon la fit rétablir en 1803. Cette inscription latine porte la date de 1670.