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Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/241

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MÉMOIRES D’UN TOURISTE

En arrivant dans cette petite ville, vous serez fort indisposé et choisirez le médecin le plus beau parleur. Le sublime serait d’avoir un procès avec quelqu’un.

Songez que ce que les sots méprisent sous le nom de commérage est, au contraire, la seule histoire qui, dans ce siècle d’affectation, peigne bien un pays. Vous trouverez toutes ces petites villes de dix mille âmes, surtout dans les pays pauvres, animées d’une grande haine contre le sous-préfet. Les gens que ce fonctionnaire invite aux deux bals qu’il donne chaque année méprisent fort les autres, qui les appellent serviles ; mais il n’y a bataille que tous les quatre ans, lors des élections.

Vous passeriez vingt ans à Paris, que vous ne connaîtriez pas la France : à Paris, les bases de tous les récits sont vagues ; jamais l’on est absolument sûr d’aucun fait (un peu délicat), d’aucune anecdote. Ce qui passe pour avéré pendant six mois est démenti le semestre suivant. On ne peut observer par soi-même que la Chambre des députés et la Bourse ; tout le reste on l’apprend à travers le journal. Dans votre petite ville de dix mille âmes, au contraire, vous pouvez, si vous êtes adroit, acquérir une certitude suffisante à l’égard de la plupart des faits sur lesquels vous devez baser vos jugements. Comme vous aurez à