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DE QUELQUES OBJECTIONS

fondeur plus curieuse que riante. Nous voyons un homme sage, tel qu’Orgon, se laisser convaincre par des phrases qui ne prouvent rien. Nous sommes trop attentifs, et j’oserais dire trop passionnés pour rire ; nous voyons qu’il n’y a rien de si difficile à prouver que l’évidence, parce que d’ordinaire les gens qui ont besoin qu’on la leur fasse voir sont aveugles. Nous apercevons que l’évidence, notre grand appui dans notre action sur les autres hommes (car il faut bien persuader tous ceux à qui l’on ne peut commander) et l’appui au moyen duquel nous marchons souvent au bonheur, peut nous manquer tout à coup au moment où nous en aurons le plus pressant besoin ; une telle vérité annonce une sorte de danger ; or, dès qu’il y a danger, il n’est plus question de la comparaison futile qui fait naître le rire[1].

C’est bien là de la force, vis ; mais pourquoi y ajouter comica (qui fait rire) si l’on ne rit point ? Le vis comica est un des mots de la vieille littérature classique.

Le misanthrope de Shakspeare, intitulé Timon d’Athènes, est rempli de scènes très-fortes et très-belles ; mais on n’y rit point. C’est que ce ne sont que des scènes probantes, si l’on veut me passer ce terme. Par elles, le caractère du misanthrope est établi, aux yeux du spectateur, d’une manière supé-

  1. Voilà le sentiment dont l’absence laisse les kings des imbéciles. Ils n’ont jamais, ou bien rarement, le besoin de persuader ; de là la difficulté de les persuader eux-mêmes.