Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, I, 1928, éd. Martineau.djvu/312

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Quand il fut las de me battre, je lui expliquai que, s’il voulait me laisser mes quatorze francs et me prêter un petit tiroir de table dans lequel je pratiquerais un double fond, je me ferais fort de lui payer dix sous par jour : c’est à quoi je ne manquai pas. L’orfèvre finit par me confier des pendants d’oreilles qui valaient jusqu’à vingt francs ; mais il ne me permettait de gagner que cinq sous sur chaque pièce.

En 1805, j’avais un capital de mille francs. Alors je considérai que notre loi nous ordonne de nous marier ; je songeai à accomplir ce devoir. J’eus le malheur de devenir amoureux d’une fille de ma nation nommée Stella. Elle avait deux frères, qui étaient, l’un fourrier dans les troupes françaises, et l’autre garçon de caisse chez le payeur. Souvent la nuit ils la mettaient dehors d’une chambre qu’ils occupaient en commun au rez-de-chaussée, du côté de San Paolo. Je la trouvai un soir qui pleurait. Je la pris pour une fille, elle me sembla jolie ; je lui offris de lui payer pour dix sous de vin de Chio. Ses larmes redoublèrent ; je lui dis qu’elle était une sotte, et passai.

Mais elle m’avait semblé bien jolie ! Le lendemain, à la même heure, dix heures du soir, mes ventes à la place Saint-Marc étant finies, je repassai au lieu où je l’avais ren-