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FÉDER


n’y a pas à hésiter : les chevaux des gens avec lesquels il faut se lier pour être quelque chose ici ont l’habitude d’aller à Viroflay. Là, vous donnerez des dîners, et bêtes et gens viendront chez vous, comme ils allaient chez le receveur général Bourdois, auquel vous succédez.

Sans dire mot, pour ne pas marquer sa reconnaissance, ce qui eût pu entraîner une obligation, Boissaux profita du conseil. Il y eut des dîners en assez bon nombre. Un jour, en se mettant à table, Boissaux supputa avec volupté, que, quoique les convives de ce dîner à Viroflay me fussent qu’au nombre de onze, ils réunissaient entre eux un avoir total de vingt-six millions, et, parmi ces convives, on voyait un pair de France, un receveur général et deux députés ; et ce qui fut utile à Féder, le donneur de conseils, c’est que son avoir figurait pour zéro dans cette addition de toutes les fortunes ; et, de plus, il était le seul de la catégorie de zéro. L’un des dîneurs, qui, au contraire, entrait pour un million et demi dans le compte ci-dessus, venait d’acheter le matin même une belle bibliothèque, dont tous les volumes étaient dorés sur tranche. Il n’était pas homme à ne pas parler de son acquisition ; depuis le matin Bidaire s’occupait à apprendre, à peu près par cœur, les