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LE PHILTRE

Le doute à cet égard, en remettant en jeu sa raison, lui fit oublier les idées romanesques. Liéven voulut la faire asseoir sur le seuil d’une porte, elle s’y refusa.

— Allons plus loin, dit-elle avec un accent tout à fait étranger.

— Avez-vous peur de votre mari ? dit Liéven.

— Hélas ! j’ai quitté ce mari, l’homme le plus respectable, et qui m’adorait, pour un amant qui me chasse avec la dernière barbarie.

Cette phrase fit oublier à Liéven le commissaire de police et les suites désagréables d’une aventure de nuit.

— On m’a volée, monsieur, dit Léonor quelques instants après, mais je m’aperçois qu’il me reste une petite bague en diamants. Quelque aubergiste voudra peut-être me recevoir. Mais, monsieur, je vais être la fable de la maison, car je vous avouerai que je n’ai qu’une chemise pour tout vêtement ; je me jetterais à vos genoux, monsieur, si j’en avais le temps, pour vous supplier au nom de l’humanité de me faire entrer dans une chambre quelconque et d’acheter d’une femme du peuple une mauvaise robe. Une fois vêtue, ajouta-t-elle, encouragée par le jeune officier, vous pourrez me conduire jus-