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LE PHILTRE

où j’étais couchée. Jugez de ma terreur : on y voyait comme en plein jour. Par bonheur, Mayral ne parla pas en s’approchant.

» Je lui montrai mon mari dormant à mes côtés ; je le vis tout à coup tirer un poignard. Saisie d’horreur, je me levai à demi ; il s’approcha de mon oreille et me dit :

» — C’est votre amant ! je comprends le contre-temps de ma venue, ou plutôt vous avez trouvé plaisant de vous moquer d’un pauvre écuyer voltigeur ; mais ce beau monsieur va passer un mauvais quart d’heure.

» — C’est mon mari, lui répétais-je tout bas.

» Et, avec toute la force que je pouvais, je lui retenais la main.

» — Votre mari, que j’ai vu s’embarquer à midi sur la bateau à vapeur de Royan ? Un sauteur napolitain n’est pas assez bête pour croire cela. Levez-vous et venez me parler dans le cabinet voisin, je le veux ; autrement, je réveille ce beau monsieur ; alors, il se nommera peut-être. Je suis plus fort, plus agile, mieux armé, et, tout pauvre diable que je suis, je lui ferai voir qu’il ne fait pas bon se moquer de moi. Je veux être votre amant, morbleu ! alors, c’est lui qui sera ridicule.

» À ce moment, mon mari se réveilla.