Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, II, 1927, éd. Martineau.djvu/17

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Avant 1796, on commençait à soupçonner à Milan ce que c’est que la stricte impartialité et la justice. Malgré tout ce qu’a fait Napoléon, cette idée n’a pu encore franchir l’Apennin (la Toscane exceptée, bien entendu). Les coquineries incroyables faites à Rome du temps du pape Pie VI (affaire Lepri), par les premiers ministres successifs, leurs favoris et les favoris de leurs favoris, forment le magasin d’anecdotes que l’on répète sans cesse à Bologne. Le jeune homme de dix-huit ans, entrant dans le monde, est sur-le-champ corrompu, quant à la probité, par ces anecdotes ; ce sont elles qui font sa seconde éducation. Le bas peuple, tel que mon ami le marchant de salame[1], en est encore aux anecdotes bien pires du dix-septième siècle. Pour réussir, il s’agit, à Bologne, de plaire à la personne qui, pour le moment, a le pouvoir : non en l’amusant, mais en lui rendant quelque service. Il faut donc connaître la passion dominante de l’homme qui a le pouvoir ; et souvent il nie cette

  1. C’est un charcutier de la place de Saint-Pétrone, puisqu’il faut l’avouer. À Milan, je faisais souvent la conversation avec M. Veronêse, cafetier sur la place du Dôme. M. Veronèse ayant gagné beaucoup d’argent avec les Français, sur-le-champ acheta de superbes tableaux. Il n’y a pas jusqu’au tailleur dont je me servais qui ne fit collection des belles estampes de M. Anderloni. Cherchez à Paris le pendant de MM. Veronèse, Ronchetti et le tailleur, et ne vous fâchez plus quand on appelle l’Italie la patrie des arts.