Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, II, 1927, éd. Martineau.djvu/26

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ne plus l’inviter. Pour avoir des mots heureux, il faut beaucoup parler : voyez les gens d’esprit de Paris. Ici, personne ne veut beaucoup écouter ; qui aurait l’esprit de briller, l’emploie à conquérir.

Un de ces soirs, Frascobaldi me dit en sortant de chez madame Pinalverde : « Demain, je n’irai pas dîner avec vous à San-Michele (c’est une auberge) ; aujourd’hui j’ai été plaisant, j’ai dit de bons mots en parlant à don Paolo, cela pourrait me faire remarquer[1]. »

Comparez cette manière de voir à celle d’un Français de trente-six ans, et millionnaire. Ajoutez à ces qualités que Frascobaldi n’est rien moins que sot ou timide ; né avec douze cents francs de rente, il a fait sa fortune en cet heureux pays, et le connaît parfaitement. Ne vaut-il pas mieux, pour qui aime les curiosités morales, voyager en Italie qu’aux îles de la Cochinchine ou dans l’état de Cincinnati ? L’homme sauvage ou peu raffiné ne nous apprend sur le cœur humain que des vérités générales qui, depuis longtemps, ne sont plus méconnues que par des sots ou des jésuites. Le mot de Frascobaldi m’a éclairé sur mon bonheur ; à cause de ce

  1. Se faire remarquer est toujours dangereux, que les remarquants tiennent à la police ou soient tout simplement des hommes de la société.