Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, II, 1927, éd. Martineau.djvu/62

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qu’on aime, s’appelle la cristallisation, dans la société de madame Gherardi.

Cette femme charmante était ce soir d’humeur discutante. Mais l’amour est rare en France, la vanité l’y étouffe, ainsi que toutes les autres passions un peu marquées : j’ennuierais en en parlant. On a raconté vingt anecdotes pour prouver des théories diverses ; j’abrège la suivante, que je ne rapporte que parce que l’héroïne était parente et amie de madame Gherardi. Les femmes sont des êtres bien plus puissants en Italie que partout ailleurs ; mais aussi on les punit avec plus de sévérité et sans crainte du qu’en dira-t-on. On n’oserait jamais imprimer ce qu’on ose faire : de là l’absence des romans.

M. le comte Valamara, blondin à figure très-douce, jaloux par vanité du cardinal Z***, et ne sachant comment empêcher sa femme d’aller à ses soirées, répandit le bruit qu’il partait pour Paris, et la conduisit en effet à un château malsain situé sur le Pô, près de Ponte-Lagoscuro. Là il vécut avec elle assez bien en apparence, mais sans jamais dire un seul mot à elle non plus qu’à deux vieux domestiques à figures sinistres, qu’il avait emmenés avec lui. Cette jeune femme, nerveuse, d’une sensibilité romanesque, bien loin de songer au cardinal Z***, avait une passion pour