Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/103

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Acceptant ce nom de Diane que je lui avais donné, elle y répondait par un mouvement de sa queue et par un regard d’intelligence. Elle me suivait quelques pas, de jour en jour un peu plus loin ; un jour enfin, je la persuadai de venir jusqu’à la grille. Mais ce fut la limite de mon ascendant. Jamais je ne pus obtenir d’elle de franchir le seuil de la cour, et pour continuer de la voir chaque jour, ce dont je ne pouvais plus me passer, il me fallut mettre mes parents dans ma confidence. Diane n’était point belle. Elle n’avait aucun talent, n’ayant pas reçu d’éducation ; elle était très-peu soignée, comme on peut croire, dans son habitation sylvaine. Mais elle m’aimait ; elle m’aimait moi seule ; elle n’appartenait qu’à moi. À mes yeux, cela lui tenait lieu de tout, et me la rendait chère au-dessus de tout.

Ce besoin d’exclusion, ce besoin d’être aimée sans partage a dominé tous les sentiments de ma vie.

Je n’ai jamais joui pleinement d’une affection, amour, amitié, matenitî même, dès qu’il m’a fallu voir avec certitude que je ne la sentais pas, que je ne l’inspirais pas absolue. Le tout ou rien de Jean-Jacques a été l’erreur, l’inquiétude constante de mon âme et de ma vie. C’est ce besoin de possession exclusive, c’est cet idéal trompeur qui m’a entraînée hors du vrai. L’égoïsme à deux a été ma vaine poursuite pendant les plus belles années de ma jeunesse ;