Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sait pas le mot cru. le plaçait vivement et bien. Jamais avec elle la conversation ne s’alourdissait ni ne s’empêtrait aux banalités. Ce n’est pas qu’elle fût instruite, loin de là. Elle savait fort peu de choses[1], n’avait aucun souci ni de la nature ni des arts, mais elle avait sur la vie des ouvertures naturelles avec des manières de voir tout à fait spontanées et originales. Peu tendre, il est vrai, point du tout dévote, mais toujours bonne, indulgente et avenante ; gouailleuse, jamais caustique ; fine, mais sans malignité, enjouée, alors même qu’elle fut aux prises avec les infirmités et la mort, ma grand’mère Sophie était la plus aimable femme qui se puisse concevoir. Pas le moindre atome romanesque dans toute sa personne.

Par deux fois, à de longs intervalles, elle fut aimée par deux hommes très-distingués qui l’épousèrent. Aussi gardait-elle du mariage le plus excellent souvenir. Son second mari fut monsieur Lenoir, conseiller d’État, lieutenant général de la police du royaume, caractère élevé, désintéressé, généreux, qui laissa de lui, dans des temps et dans des fonctions difficiles, une mémoire grandement honorée[2]. Ce n’était pas

  1. Dans ce peu, l’orthographe n’était pas comprise. Ma grand’mère écrivait cond’huile, par exemple ; ce qui me causait, à moi, élève distinguée des cours de l’abbé Gaultier, un étonnement extrême.
  2. M. Lenoir, né à Paris en 1732, mort en 1807. « Le plus grand ami de l’humanité », écrivait Brissot, le girondin. Il fonda le