Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/130

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blier les antiques forêts de la Germanie ; il me parlait du Nibelungen Lied ; il le comparait à l’Iliade. Par sa méthode un peu vague, mais bien plus vivante que l’exposition artificielle des méthodes françaises, le professeur Vogel accoutumait mon esprit à considérer les choses dans un ensemble que rien, dans nos disciplines universitaires, ne fait pressentir à l’enfance.

Je dois beaucoup à la méthode germanique du professeur Vogel. Elle avait ses inconvénients ; où n’y en a-t-il pas ? elle aurait pu me jeter, comme beaucoup d’esprits allemands, dans la nébulosité des espaces, et me faire perdre pied dans l’infini ; mais contrôlée, ramenée incessamment, comme elle le fut toujours, par l’enseignement français, à l’ordre et à la clarté[1], mon intelligence, il faut bien qu’il me soit permis de le dire, y acquit une étendue et des facultés synthétiques assez rares chez les esprits exclusivement dressés à la française.

Ce bon professeur Vogel, de qui je me souviens à cette heure avec gratitude et respect, me paraissait alors fort ennuyeux et passablement grotesque. Il s’habillait encore à l’ancienne mode : petite perruque

  1. Un historien philosophe contemporain — Buckle — parle quelque part de la mauière dont s’éleva et se développa, sous le règne du grand Frédéric, « l’intellect allemand sous l’aiguillon de l’esprit français. » Il me semble qu’il s’est produit dans mon éducation quelque chose d’analogue.