Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/145

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Madame*** fut donc de la comédie d’abord, puis de la compagnie, puis de la familiarité de mes parents ; et sa fille, qu’elle menait partout avec elle, s’improvisa mon amie intime, avant que ni ma mère ni moi nous eussions songé à la rechercher ou à l’éviter. Les Proverbes joués pendant toute la saison d’hiver, dans l’appartement que nous occupions alors rue des Trois-Frères, vis-à-vis des jardins de l’hôtel du général Moreau, et qui amenaient chez nous beaucoup de monde, mirent autour de moi une atmosphère de coquetterie qui n’était pas la meilleure du monde pour une jeune fille. On commençait à me dire beaucoup trop que j’étais jolie ; on me le disait autrement qu’à une enfant. Cependant, au lieu de me dissiper dans mes amusements mondains, je rêvais de solitude. Je faisais de longs voyages au pays des chimères. Je me voyais, en esprit, sous un ciel bleu, au bord d’une mer bleue, écoutant mon jeune ami, qui me jurait l’éternel amour, unissant à jamais ma destinée à la sienne dans les graves et doux liens du mariage…

Tout à coup, je fus précipitée de mes rêves, foudroyée par une terrible réalité : mon père, brusquement atteint d’une lièvre cérébrale, fut enlevé en trois jours. Pour la première fois, sur la face inanimée de l’être que j’aimais le plus au monde, je vis les pâleurs de la mort et l’immobilité rigide du dernier sommeil ! Jusque-là, je ne connaissais la mort que de nom.