Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/160

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Chateaubriand, bien qu’il eût alors cinquante-deux ans, et qu’il parût, comme on sait, un peu contrefait à cause de sa tête très-forte pour son corps assez petit, était d’une beauté frappante. La grandeur était à son front ; dans ses yeux, la flamme ; dans sa belle chevelure, le souffle du génie ; dans toute sa personne. une grâce superbe, un air d’ambition lassée qui semblait descendre vers vous du haut d’un trône ; sur ses épaules inégales[1], comme une pourpre invisible, qui mettait la distance entre lui et le commun des mortels.

Quand je revis, cinq ans après, Chateaubriand, c’était dans tout l’éclat d’une fête qu’il donnait au ministère des affaires étrangères; je le revis encore, et pour la dernière fois, à l’Académie française, un jour qu’il avait voulu y venir pour honorer la réception de Ballanche. Combien je le trouvai changé, alors ! La vieillesse, le chagrin et comme la honte de vieillir

  1. On a disputé sur l’inégalité des épaules et sur la couleur des yeux de Chateaubriand. Quant à son air superbe et ennuyé, je lui appliquai plus tard ce vers du bon compagnon Frosch, lorsqu’il voit entrer, dans la taverne d’Auerbach, Faust et Méphistophélès :

    « Sie scheinen mir aus einem edlen Haus ;
    « Sie sehen stolz und unzufrieden aus. »
    « J’ai été frappé en» le revoyant de son attitude infirme, écrit Alfred de Vigny en 1842; ses jambes sont fort courtes, ses épaules hautes et la droite très-grosse, sa tête énorme et son nez long et pointu, ses manières pleines de bonne grâce du grand monde. »

    (Journal d’un poëte.)