Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/161

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avaient fait en lui d’affreux ravages. Tout s’était affaissé, l’âme et le corps. Il ne marchait plus qu’en apparence ; ses jambes grêles et fléchissantes ne le portaient pas ; on le soutenait, et il en ressentait une contrariété ingrate. À un passage du discours de Ballanche où il était nommé, il pleura comme un enfant ; il tira de sa poche pour essuyer ses larmes un immense mouchoir à carreaux bleus qui me rappela, par contraste, la rose épanouie dont il jouait gracieusement pendant la visite de ma mère à l’ambassade de France. La caducité de Chateaubriand me fit mal à voir. Toutefois la première impression, la première et noble image qui s’était gravée de lui dans ma mémoire me revint plus tard et finit par chasser l’autre. Je lui gardai un culte. De secrètes affinités m’attiraient vers ce gentilhomme, voyageur à travers le monde et les idées. Encore aujourd’hui, certaines pages de René, certains tableaux des Mémoires d’outre-tombe exercent sur mon esprit une séduction que je ne saurais attribuer uniquement à leur beauté littéraire.

La tombe du Grand-Bé a vu mon pieux pèlerinage ; la terre bretonne, avec sa grande tristesse, m’attire. Je ne prononce pas enfin ce beau nom de Chateaubriand sans qu’il éveille en moi d’incroyables solennités. Un jour, peu de temps après la publication de mon premier roman — Nélida, — j’appris qu’on l’avait lu