Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/220

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des contradictions qu’il n’eût pas fallu serrer de trop près. Je faisais au confessionnal des questions sur les dogmes auxquelles on ne me répondait que par des exhortations à la soumission d’esprit : je suis bien certaine, par exemple, de n’avoir jamais cru à l’éternité des peines de l’enfer ; et sans aucun doute aussi mon indifférence à l’endroit de la conversion de ma mère provenait de ce que l’article de foi qui la damnait ne m’était jamais entré dans la cervelle. Cette conversion, qui devait se faire quelques années après, sans ma participation, mais dont assurément les premiers germes furent déposés dès cette heure dans l’âme maternelle par la contagion de ma jeune ferveur[1],

  1. J’ai bien souvent médité sur cette suite irrégulière et irrationnelle des choses qui amène ce qu’on appelle le progrès de l’esprit humain. Je nais protestante ; tout enfant on me fait catholique sans mon aveu et par pure convenance mondaine. Dana ma jeunesse, sans le vouloir, sans le savoir, je convertis ma mère protestante à la foi catholique, que mon âge mûr cesse de professer pour embrasser la religion sans dogmes et sans culte du poète qui bénit mon enfance. Qu’y a-t-il eu là de nécessaire, de contingent ? à quel moment, à quel point de cet entrecroisement de hasards et d’aventures, ma volonté eût-elle pu intervenir, et de quoi suis-je responsable ?

    De l’émigration qui amène mon père à Francfort et lui fait épouser ma mère ? De la règle des unions mixtes qui me fait protestante ? De la sagesse mondaine de ma grand’mère qui me fait catholique ? De la pente naturelle et héréditaire de mon esprit qui me ramène au libre examen ? Quelle psychologie, quelle physiologie assez subtiles pour démêler un tel embrouillement de causes et d’effets ?