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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/249

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tait brusquement, lui si plein de courtoisie. Il s’excusait le lendemain, disant qu’il avait souffert de sa blessure et qu’il se sentait bien vieux… Il souriait alors d’un indéfinissable sourire, qui me pénétrait de tristesse.

Il paraît que, dans ses perplexités, M. de Lagarde se confiait à une femme du monde, dont il avait été l’amant dans sa jeunesse et qui se flattait encore de le reprendre en ses lacs. Les visées de la marquise de ***, en cela très-semblable à la plupart des femmes parisiennes, plus ambitieuses que tendres ou scrupuleuses, c’étaient, en faisant épouser à M. de Lagarde l’une de ses filles, fort laide et insignifiante, de garder sur l’esprit d’un homme en faveur une influence utile.

L’amour de M. de Lagarde pour moi, surtout si le mariage, devait s’en suivre, dérangeait ces combinaisons. Aussi, en paraissant le conseiller selon son cœur, la marquise employa-t-elle tout ce qu’elle avait d’artifice à le jeter plus avant dans l’hésitation. Le voyait-elle résolu de faire sa demande, elle offrait de s’en charger. Il acceptait, tout heureux d’échapper à l’embarras de cette démarche toujours différée ; alors, sous un prétexte, puis sous un autre, elle différait à son tour, elle inventait des délais plausibles, et finalement, par quelque nouvelle perfidie, elle replongeait toutes choses dans l’incertitude.

Ce manège dura toute une saison.