Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/259

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pelle, et les demoiselles galantes avec qui il leur plaît de se confondre, descendent là par caprice et balaient le sol de leurs froufrous traînants. Dans les contre-allées, passent rapides, le cigare en bouche, des cavaliers et, cravache levée, des cavalières dont les éclats de voix, les rires bruyants, les propos, mêlés de toutes les langues, de toutes les argots de l’Europe, étonnent la feuillue. Anglais par son turf, italien par son corso, allemand par ses musiques, hollandais par ses patins, chinois par ses lanternes, français par ses demoiselles et ses gendarmes, le bois de Boulogne, autrefois infréquenté, silencieux, que traversaient deux fois l’an, dans leur berline fermée, sans escorte, le plus modeste ménage royal qui fut jamais, est à cette heure le retentissant rendez-vous des vanités, des effronteries du pêle-mêle cosmopolite. Il offre au moraliste, concentré sur un point très-apparent, l’image du changement complet, ailleurs moins sensible, des goûts, des bienséances, des mœurs de la société française sous le régime impérial.

Tout s’y est agrandi, enrichi, embelli, je l’accorde ; tout y a pris les dehors riants des plaisirs faciles. Mais je ne sais quoi de malsain, de vulgaire, se décèle sous ces brillants dehors. Un air d’insolence, une allure de parvenu, y blesse le goût. Notre physionomie nationale s’y est effacée sous l’ostentation des vices cosmopolites. Et parfois l’esprit cha-