Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/261

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— fraîchement débarquée d’Irlande, sans esprit, sans aucune instruction, mais d’autant plus pédante et sentencieuse[1]. Bientôt, rebutée par l’insipidité de ses leçons, pour y mettre, en dépit d’elle, quelque mouvement, je proposai à mon amie Lucile, qui avait commencé l’étude de l’anglais en même temps que moi, d’écrire à nous deux un roman par lettres. J’en dressai très-sommairement le plan, laissant beaucoup à la fantaisie, ou plutôt au vocabulaire très-restreint qui nous commandait entièrement[2].

Je voudrais retrouver ce roman, humble gage d’une vocation littéraire très-inconsciente alors ; premier pas dans l’obscur sentier où mon esprit devait reconnaître un jour ce qui serait pour lui la diritta via.

  1. Au bout de trois mois de leçons, lorsqu’en sa présence on me demandait si je parlais l’anglais : Do you speak english ? miss James, n’attendant pas ma réponse, crainte sans doute de ma sincérité qui eût confondu son professorat, disait invariablement, de son ton le plus solennel: Sbe could if she would, but she won’t ; cela nous faisait beaucoup rire, mon frère et moi.
  2. Goetbe, dans ses Mémoires que je ne connaissais pas alors, raconte quelque chose de très-semblable. Pour apprendre à écrire en différentes langues, sans s’astreindre à l’étude de la grammaire qu’il haïssait, il imagina le plan d’un roman où six ou sept frères et sœurs, séparés les uns des autres, correspondaient celui-ci en grec, l’autre en latin, d’autres en allemand, en italien, en français, en anglais.