Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/276

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hôtels, où la présence des ancêtres, le culte des souvenirs, le maintien des habitudes solennelles ou familières, entretenaient de génération en génération je ne sais quelle gravité douce, je ne sais quelle naturelle fierté qu’on n’abordait pas sans respect. Dans cette société, la plus illustre du monde, comme on se connaissait avant même de s’être vu, dès le berceau, on pourrait dire dès avant la naissance, par alliances, par récits nourriciers, par tout un cousinage historique qu’il n’était pas permis d’ignorer ou de négliger ; comme on recevait même nourriture d’esprit, aux pages, aux écoles militaires, au régiment, dans les ambassades et même dans l’Église : égalité entre soi, fière obéissance aux princes, largesses aux pauvres, confiance en Dieu et en la fortune de la France, on apportait, dans le commerce du monde, une aisance parfaite, une sécurité, une ouverture de physionomie, une cordialité d’accueil et d’accent que je n’ai plus jamais rencontrées ailleurs. Il régnait dans les demeures de ces grands seigneurs d’autrefois une certaine magnificence, mais tempérée par un air de vétusté et d’habitude qui lui ôtail toute apparence de faste. Les repas étaient longs, nombreux, substantiels, mais sans grands apprêts. Le maître de la maison servait lui-même ; il tranchait, il découpait avec coquetterie et bonhomie. On offrait à ses convives le poisson de ses étangs, le gibier de ses forêts ; on leur versait abon-