Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/291

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parlât à sa voisine, autrement qu’à voix basse, et comme à la dérobée. La princesse tirait ses points d’une main saccadée[1]. Sans s’interrompre, elle jetait de loin à loin, avec une certaine spontanéité apparente, mais réglée en effet par l’étiquette, à l’une ou à l’autre des dames qui siégeaient autour d’elle, une question brusque. La réponse, au milieu du silence général, était, comme on peut croire, aussi brève, aussi banale que possible. En dehors de ce cercle féminin, le Dauphin et d’ordinaire la vicomtesse d’Agoult, sa vieille amie de Mittau, jouaient ensemble aux échecs, silencieusement, cela va sans dire, absolument comme auraient pu le faire deux automates.

Dans le fond du salon, Charles X, silencieusement aussi, faisait sa partie de whist avec trois des gentilshommes de sa maison ou de celle de sa nièce, le duc de Duras, MM. de Vibraye, de Périgord, de Damas, etc. De temps en temps, à la fin d’un rubber, il s’élevait une voix ; c’était celle du roi, qui se fâchait quand il avait perdu ; son partner s’excusait, et le silence recommençait jusqu’au prochain rubber. La partie terminée, le roi se levait en repoussant son siège ; aussitôt, et comme par un ressort, la Dauphine, qui n’avait pas perdu de vue le jeu royal, se levait

  1. Dans la visite que fit M. de Chateaubriand à madame la Dauphine, en 1833, à Carlsbad, il remarqua « ce mouvement rapide, machinal et convulsif. » (Mémoires d’outre- tombe.)